ESPACE (CONQUÊTE DE L’) - La domestication de l’espace jusqu’en 1980

ESPACE (CONQUÊTE DE L’) - La domestication de l’espace jusqu’en 1980
ESPACE (CONQUÊTE DE L’) - La domestication de l’espace jusqu’en 1980

Les premiers balbutiements de Spoutnik-1 en 1957 ont conduit, à travers une fantastique accélération du progrès technologique, au «bond de géant pour l’humanité» que constitua, en 1969, le tout petit saut de Neil Armstrong posant son pied sur la Lune. La décennie suivante, si elle n’a pas connu d’exploit aussi spectaculaire, a néanmoins permis, à travers une somme d’efforts patients et soutenus quoique moins prestigieux, d’avancer dans ce qu’on peut appeler la domestication de l’espace. Quelques traits dominants peuvent la résumer: du côté américain, l’abandon provisoire des vols habités pour se consacrer à la préparation de moyens de lancement futurs plus économiques (navette spatiale); du côté soviétique, au contraire, la continuation des vols habités dans une perspective de préparation méthodique de la capacité de l’homme à vivre et à travailler dans l’espace; au niveau mondial, la généralisation de l’utilisation de l’espace à des fins d’applications; en Europe, la prise de conscience, sous l’égide de l’Agence spatiale européenne, de la nécessité d’une certaine indépendance vis-à-vis des grandes puissances, et la mise en œuvre de grands programmes (lanceur Ariane, Spacelab et programmes d’applications); enfin, des prouesses spectaculaires avec l’exploration du système solaire, grâce aux sondes interplanétaires automatiques.

Dans les paragraphes suivants, on survolera les différentes facettes de cet effort spatial jusqu’en 1980, auquel participèrent, à côté des États-Unis et de l’U.R.S.S., de nombreux pays, et notamment l’Europe, le Canada, la Chine et le Japon (tabl. 1).

1. Les lanceurs et les vaisseaux spatiaux

Les programmes de vols habités

Les vols habités furent poursuivis par les Américains et les Soviétiques (tabl. 2). Le point culminant du programme Apollo fut, sans nul doute, le 16 juillet 1969, quand l’homme mit pour la première fois pied sur le sol de la Lune. Six alunissages eurent lieu au total jusqu’à l’achèvement du programme avec Apollo-17, le 19 décembre 1972. La succession relativement rapide des vols n’a certainement pas toujours permis de définir les missions d’une façon scientifiquement optimisée, mais l’analyse des 382 kg de sol lunaire, répartis entre plus de deux mille échantillons, a néanmoins permis de tirer des conclusions importantes parmi lesquelles on peut citer l’absence totale d’eau sous n’importe quelle forme, la très faible concentration de carbone, qui d’ailleurs ne semble pas être d’origine lunaire, et l’existence d’une magnétisation dans certains minéraux, bien que la Lune ne possède qu’un champ magnétique extrêmement faible.

Skylab fut aménagé en laboratoire habité à partir d’un réservoir d’un contenu d’oxygène et d’hydrogène liquides de 280 m3 du troisième étage de la fusée Saturn V. D’une masse de l’ordre de 90 t, il fut occupé successivement par trois équipages de trois astronautes pendant 28, 59 et 84 jours respectivement. Les objectifs de la mission furent principalement l’observation de la Terre, la physique solaire, l’astronomie (y compris la prise de vues de la comète Kohoutek, en décembre 1973) et des expériences dans les domaines des sciences de la vie et des matériaux. Sur un plan général, Skylab a aussi servi à la mise au point de techniques destinées à des laboratoires habités plus avancés tels que le Spacelab. La N.A.S.A. avait initialement calculé que Skylab resterait en orbite jusqu’en 1983, date à laquelle la navette spatiale aurait permis d’intervenir pour éviter ou contrôler sa retombée sur la Terre. En réalité, l’activité solaire plus importante que prévue eut pour effet un «gonflement» de la haute atmosphère, dont le freinage induit sur Skylab fut tel qu’il retomba sur la Terre le 11 juillet 1979, heureusement sans causer d’accident.

Le 17 juillet 1975, un vaisseau américain Apollo et le vaisseau soviétique Soyouz-19 s’arrimèrent à une altitude de 222 km et volèrent conjointement pendant 48 heures. Les deux équipages se firent plusieurs visites mutuelles et réalisèrent ensemble des expériences scientifiques. Ce programme Apollo-Soyouz suscita un grand intérêt public à l’échelle mondiale, et constitua en fait le dernier vol habité américain avant la mise en service de la navette spatiale.

Les Soviétiques, ayant renoncé à l’envoi d’hommes sur la Lune, avaient au contraire axé leur effort sur la mise au point de la technologie des stations spatiales habitées, dès 1971, avec Saliout-1. Cette station fut visitée deux fois par des équipages de trois hommes. En raison d’une fuite de pression pendant le retour vers la Terre, le deuxième équipage trouva la mort le 30 juin 1971. Le vaisseau Soyouz, qui transporte les cosmonautes entre la Terre et la station Saliout, fut modifié pour n’abriter que deux cosmonautes, leur permettant de porter un scaphandre pendant les phases critiques du vol. La station de deuxième génération Saliout-6, lancée en 1977, autorise une exploitation beaucoup plus prolongée grâce à plusieurs perfectionnements, notamment la possibilité d’arrimage pour deux vaisseaux Soyouz, ce qui permet à un deuxième équipage de se rendre dans Saliout-6 pour des périodes plus ou moins étendues. De plus, moyennant des vaisseaux Soyouz aménagés en cargos automatiques, appelés Progress, il est possible de ravitailler la station et son équipage en vivres, en pièces détachées, en eau, en air et en propergols pour élever l’altitude de l’orbite de temps en temps. La station Saliout-7 placée sur orbite avant la fin du vol de Saliout-6 a bénéficiée de quelques modifications. Ces stations ont permis de faire des expériences en technologie spatiale (métallurgie, croissance des cristaux, médecine). La durée des séjours s’est allongée: de 96 jours à 237 jours. Plusieurs équipages ont rendu visite à la station (J.-L. Chrétien en 1982). La troisième génération prend la relève avec la nouvelle station Mir lancée le 20 février 1986.

La navette spatiale et le Spacelab

Les lanceurs classiques ne sont utilisables qu’une seule fois, et un lancement par fusée représente un gaspillage de produits de haute technologie, auquel s’ajoutent le risque engendré par la chute des premiers étages et l’accumulation de toutes sortes de débris autour de la Terre. On a ainsi étudié, depuis les années 1950, la faisabilité d’un lanceur réutilisable; mais il a fallu attendre d’acquérir l’expérience du programme américain Apollo, surtout en ce qui concerne l’aérodynamique de la rentrée dans l’atmosphère à très grande vitesse, avant de pouvoir démarrer, en 1971, le programme de la navette spatiale.

La navette comprend trois volets principaux: un segment spatial de transport avec la navette elle-même, et des moteurs-fusées complémentaires permettant d’atteindre les orbites élevées; un segment sol, composé de deux bases de lancement (Kennedy Space Center en Floride et la base aérienne de Vandenberg en Californie) et d’un centre de contrôle installé au Johnson Space Center à Houston au Texas; un système de communications avec la navette utilisant notamment deux satellites géostationnaires (T.D.R.S.S.: Tracking and Data Relay Satellite System).

L’élément principal de la navette est l’orbiteur qui combine les caractéristiques d’une fusée, d’un véhicule spatial habité et d’un avion. Il décolle en position verticale comme une fusée, mais revient à la Terre en vol plané sur une piste semblable à celle d’un aéroport. L’orbiteur a la taille d’un avion du type DC-9: 37 m de longueur et 24 m d’envergure. Pour le lancement, l’orbiteur est fixé sur un réservoir d’oxygène et d’hydrogène liquides de 47 m de longueur et d’une contenance de 703 t d’ergols destinés à l’alimentation des trois moteurs principaux, dont chacun produit une poussée de 1,7 MN (méganewton) au sol. En outre, deux propulseurs d’appoint à poudre, produisant 11,8 MN de poussée chacun, sont également accolés au réservoir. Environ deux minutes après le décollage, les propulseurs cessent de fonctionner, sont parachutés et récupérés en mer en vue de leur réutilisation ultérieure. Quand le réservoir est vide, il est largué, lui aussi, mais la navette se trouve déjà au-dessus des couches épaisses de l’atmosphère; il se désintègre alors et se consume dans l’atmosphère pendant sa chute vers la Terre; c’est la seule partie de la navette qui n’est pas récupérée.

L’orbiteur peut transporter des charges utiles sur des orbites comprises entre 200 et 900 km d’altitude. La masse de la charge utile varie avec l’altitude et l’inclinaison de l’orbite. Dans les conditions les plus favorables, elle peut atteindre presque 30 t. La navette remplacera les lanceurs conventionnels pour la mise en orbite des satellites, mais pour atteindre les orbites élevées, notamment l’orbite géostationnaire, ou bien des trajectoires interplanétaires, il sera nécessaire de faire appel à une fusée lancée à partir de la navette sur une orbite basse. En outre, elle permettra l’exploitation du Spacelab et de toute une gamme de nouveaux systèmes spatiaux appelés à bénéficier des caractéristiques originales de la navette telles que: dimensions et masses importantes de la charge utile, possibilité de maintenance en orbite et de retour vers la Terre, possibilité d’intervention humaine pour opérations de routine, de construction et de dépannage. L’équipage comprend jusqu’à sept personnes: un commandant de bord, un pilote, un ou deux spécialistes de mission chargés de la gestion des ressources et des équipements de soutien et un à trois spécialistes de la charge utile.

Le Spacelab, contribution européenne au système de transport spatial américain, est un laboratoire spatial habité permettant un très grand nombre d’expériences et de recherches dans les domaines de l’astronomie, de l’observation de la Terre, des sciences de la vie, de la physique de l’atmosphère, du Soleil et du plasma, et de la science des matériaux y compris la fabrication de produits non réalisables au sol en raison de la pesanteur. Le Spacelab est transporté dans la soute de l’orbiteur dont les portes sont ouvertes lorsque l’orbite est atteinte. L’ensemble navette-Spacelab est prévu pour des missions de sept à dix jours. Le Spacelab est conçu de façon modulaire permettant la réalisation de plusieurs configurations. Les éléments principaux sont un module pressurisé d’un ou deux segments de 4 m de diamètre et 2,7 m de longueur, et un porte-instruments composé de une à cinq «palettes» dont chacune mesure 4 m de large sur 3 m de long. La charge utile qu’il est possible d’accommoder dans le Spacelab varie entre 4,6 t pour la configuration «module long seul» et 9 t pour la configuration «palettes seules».

Malgré l’accident de Challenger, le 28 janvier 1986, le programme est reparti, avec Discovery, le 29 septembre 1988. La navette pourra servir à la construction de stations spatiales permanentes. D’ici là, l’orbiteur servira de plate-forme regroupant des expériences scientifiques et au lancement de satellites de télécommunications et d’observation de la Terre, pour des applications civiles et militaires, ainsi qu’aux autres missions Spacelab. La navette soviétique Bourane a été lancée le 15 novembre 1988, d’autres vols pilotés ou automatiques ont eu lieu.

Le premier lanceur Ariane

C’est en juillet 1973 que l’Organisation européenne de recherches spatiales (European Space Research Organization, ou E.S.R.O.), – qui devait devenir l’Agence spatiale européenne (European Space Agency, ou E.S.A.) en 1975, reprenant une proposition française, décida d’inclure dans son programme d’activités le développement du lanceur Ariane, et d’en confier l’exécution au Centre national d’études spatiales (C.N.E.S.) français. L’objectif du programme Ariane était de doter l’Europe d’une capacité autonome de lancement afin de lui permettre d’assurer, si possible à partir de 1981, le lancement de ses propres satellites et, plus particulièrement, des satellites d’applications sans avoir à dépendre de facteurs politico-économiques non contrôlés en Europe. La phase de développement d’Ariane ainsi entreprise s’est achevée avec les quatre premiers lancements destinés à qualifier en vol le lanceur, entre 1979 et 1980, à partir du Centre spatial guyanais du C.N.E.S.

Le premier lanceur Ariane est une fusée à trois étages dont la hauteur totale est de 47,4 m et qui pèse 208 t au décollage, 90 p. 100 de cette masse étant constitués par les ergols. Le premier étage, qui fonctionne pendant cent quarante-cinq secondes, est équipé de quatre moteurs Viking V qui sont alimentés en ergols UDMH (Unsymetrical Dimethyl Hydrazine) et de peroxyde d’azote 24 (147,5 t) par des turbopompes et développent une poussée totale de 2 445 kN (kilonewtons) au décollage. Ces moteurs sont fixés sur des articulations qui permettent d’assurer le pilotage de la fusée suivant les trois axes. Le deuxième étage, appelé à fonctionner pendant cent trente-huit secondes, est équipé d’un moteur Viking IV alimenté en ergols UDHM et 24 (34,2 t) qui développe une poussée de 717 kN et qui est monté sur un cardan à deux degrés de liberté pour assurer le pilotage en tangage et lacet, le pilotage en roulis étant effectué à l’aide de tuyères auxiliaires. Le troisième étage enfin, dont le fonctionnement dure cinq cent soixante-dix secondes, est équipé d’un moteur HM-7 fonctionnant avec de l’hydrogène et de l’oxygène liquides (8,23 t) et qui développe une poussée de 60 kN dans le vide. Cet étage est le premier, de type cryogénique, réalisé en Europe. Les trois étages sont complétés par une case d’équipement, située au-dessus du dernier étage, qui contient les équipements électroniques de commande et de contrôle de la fusée, et sur laquelle sont fixées la charge utile constituée par un ou plusieurs satellites et la coiffe. Cette dernière, qui mesure 8,65 m de hauteur et 3,2 m de diamètre, laisse disponible un volume de l’ordre de 35 mètres cubes pour la charge utile. Ariane a été conçue principalement pour permettre de lancer, en orbite elliptique de transfert, des satellites destinés à être placés finalement sur une orbite géosynchrone. Grâce à la position géographique du Centre spatial guyanais retenu pour le lancement d’Ariane, situé à une latitude voisine de l’équateur (5,23680 de latitude N.), une économie importante sur la masse des ergols nécessaires pour circulariser l’orbite et corriger l’inclinaison peut être réalisée. Les performances du premier lanceur Ariane permettent de placer sur l’orbite de transfert un composite, constitué d’un satellite et de son moteur d’apogée pesant au total 1 700 kg, ce qui correspond à la mise en orbite d’un satellite géosynchrone de 965 kg. Ariane étant capable de placer 4 850 kg sur une orbite circulaire basse de 200 km d’altitude, son utilisation peut être également envisagée pour des missions nécessitant des orbites de caractéristiques très différentes, telles les missions de type héliosynchrone, très utiles dans les applications météorologiques et l’observation de la Terre, ou les missions interplanétaires.

2. Les vols interplanétaires

La décennie de 1970 à 1979 a connu une très grande activité de la part de l’U.R.S.S. et des États-Unis dans l’exploration, par sondes automatiques, de la Lune et des planètes et leurs satellites, ainsi que de l’espace interplanétaire (tabl. 3). Dix sondes Luna, dont deux équipées d’un véhicule automobile téléguidé, appelé Lunakhod, furent envoyées par l’U.R.S.S. vers la Lune, constituant ainsi un complément au programme Apollo, entrepris vers la même époque par les États-Unis. Neuf sondes, dont six furent lancées par l’Union soviétique, eurent comme objectif Vénus, planète à laquelle l’U.R.S.S. consacra une part considérable de son programme de recherches interplanétaires: après avoir obtenu, grâce aux Venera-4, -5 et -6 entre 1967 et 1969, les renseignements sur l’atmosphère vénusienne nécessaires à la construction d’un engin capable de se poser en douceur, Venera-7 atteignit la surface de la planète sur sa face nocturne en 1970, suivi par Venera-8 qui se posa en 1972 sur la face diurne; ensuite, des engins plus lourds, Venera-9 et -10, effectuèrent deux descentes en 1975 et furent les premiers véhicules spatiaux à transmettre des images du sol d’une autre planète, ce qui représente un exploit technique de premier ordre, étant donné les conditions d’environnement véritablement infernales régnant sur le sol de Vénus (une température de 480 0C et une pression barométrique de 90 atm. environ). L’autre point culminant dans l’exploration de Vénus fut marqué par les sondes américaines Pioneer-Venus-1 et -2 en 1978. La première abrita la charge utile scientifique la plus complexe jamais envoyée vers Vénus et fut mise sur orbite autour de la planète, tandis que la deuxième largua quatre capsules en quatre endroits différents (hémisphères Nord et Sud, faces diurne et nocturne).

Neuf sondes également furent envoyées vers Mars, avec là aussi une importante contribution soviétique avec six véhicules. La sonde américaine Mariner-9, qui fut la première mise en orbite autour d’une autre planète que la Terre, le 13 novembre 1971, permit de dresser une carte très détaillée de Mars à partir des vues prises par le satellite. Mais l’événement attendu avec la plus grande curiosité depuis le début de l’exploration de Mars, planète qui a suscité depuis longtemps des spéculations parfois assez hardies sur l’existence de vie sous une forme ou une autre sur sa surface, fut bien sûr la mission américaine des Viking-1 et -2, véritables laboratoires d’analyses chimiques destinés à détecter, dans le sol martien, les produits du métabolisme des organismes vivants, s’ils existaient. Certains résultats furent inattendus et difficiles à expliquer, mais les scientifiques s’entendent sur le fait qu’aucune trace de vie n’a pu être discernée. Mariner-10 effectua trois passages à proximité de Mercure en 1974 et 1975 et fournit les premières images de cette planète obtenues par satellite. Mariner-10 fut aussi la première sonde qui visita deux planètes (Vénus et Mercure). Par ailleurs, la recherche orientée vers les planètes extérieures avança beaucoup avec le lancement des Pioneer-10 et -11, en mars 1972 et avril 1973 respectivement. Pioneer-10 a permis d’obtenir de nouvelles images de Jupiter et d’avoir des informations sur l’énergie émise par la planète et sur son champ magnétique; c’est le premier objet fabriqué par l’homme appelé à quitter le système solaire pour se diriger vers la constellation du Taureau. Pour qu’il soit éventuellement intercepté après un vol de plusieurs dizaines de millions d’années par des êtres intelligents d’une autre civilisation galactique, il porte une plaque indiquant la forme et les dimensions de ses créateurs, et l’endroit de sa provenance dans l’Univers. Pioneer-11 a permis d’observer Saturne et principalement ses anneaux. La N.A.S.A., bien qu’elle ait dû renoncer au «grand tour» des planètes extérieures, tour qui aurait bénéficié d’un alignement particulier des planètes qui ne se reproduira pas avant deux cents ans, a néanmoins pu entreprendre, avec les sondes Voyager-1 et -2, un programme plus modeste mais pourtant d’un intérêt scientifique primordial, du point de vue de la connaissance des planètes extérieures. Après passage près de Jupiter en mars 1979 (à cette occasion l’existence de volcanisme actif sur Io, satellite de Jupiter, fut découverte par Voyager-1) et juillet 1979, les sondes ont atteint Saturne en 1980 et 1981, Uranus en 1986 et enfin Neptune en 1989. Finalement, elles sortiront du système solaire. Comme les Pioneer, les sondes emportent des messages à l’intention d’autres êtres dans le cosmos, notamment un disque (accompagné d’un tourne-disque) sur lequel ont été enregistrés des chants et de la musique, les voix des hommes et des animaux, et les bruits du vent et de la mer.

3. Les programmes de satellites d’applications jusqu’en 1980

L’«exploitation» de l’espace à des fins d’applications civiles et militaires a pris une importance croissante au cours des vingt dernières années et, dans beaucoup de domaines, on a assisté au passage de la phase expérimentale à une phase d’exploitation opérationnelle. Un aperçu succinct de cette évolution a seulement pu être esquissé dans ce qui suit, mais cela ne doit pas cacher le fait que l’avènement des satellites utilitaires est en train de modeler l’avenir de notre société.

Dans le domaine des télécommunications intercontinentales, le système Intelsat (International Telecommunications Satellite Organisation, 102 États participants) a continué son expansion, tant au niveau du réseau des stations terriennes qu’au niveau du segment spatial: depuis 1965, vingt-quatre satellites ont été lancés avec succès appartenant à six séries différentes, Intelsat I, II, III, V et VI, chaque série constituant un progrès technique sur la précédente. Un accroissement continu de la capacité des satellites en résulte qui culminera, pour un temps, avec la série Intelsat V: douze mille circuits téléphoniques et deux circuits de télévision par satellite, grâce aux progrès techniques réalisés. Parallèlement à cette extension du réseau international, qui a conduit à une réduction remarquable des tarifs des communications, on a vu apparaître à partir de 1978 des systèmes «domestiques»: Westar, Satcom et Comstar aux États-Unis, Anik-A et -B au Canada, Palapa en Indonésie (quel autre système que par satellite pourrait, en effet, satisfaire aux besoins d’un pays de près de 200 millions d’habitants répartis sur plus de 3 000 îles?). Du côté soviétique, on peut se faire une idée de l’ampleur du système de télécommunications spatiales à travers les chiffres suivants: à la fin de 1978, 71 satellites des types Molnya-1, -2 et -3 avaient déjà été lancés sur des orbites elliptiques à défilement; mais l’U.R.S.S. s’est également engagée dans la voie des satellites géostationnaires et le satellite expérimental Gorizont, lancé à la fin de 1978, préfigure le système mis en place pour la retransmission mondiale des jeux Olympiques de Moscou en 1980. Quant à l’Europe, elle n’est pas restée inactive: Symphonie-1 et -2, réalisés en coopération franco-allemande, le satellite italien Sirio, et le satellite O.T.S. (Orbital Test Satellite) de l’E.S.A. Cet effort est poursuivi, à partir de 1981, avec la mise en service de systèmes opérationnels: sous l’égide de l’E.S.A., les satellites E.C.S. (European Communication Satellite) pour les télécommunications du service fixe et Marecs pour les communications avec les navires en mer; et les satellites français Telecom pour les besoins nationaux.

La télédiffusion directe a fait son apparition en 1984 au Japon et en 1987 en Europe avec T.D.F. et T.V. Sat en Suède et aux États-Unis en 1989.

En météorologie , les années écoulées ont vu, dans le domaine des satellites à défilement sur orbite polaire – outre la continuation des brillants succès de la série des Nimbus –, les six satellites du système opérationnel Itos, réalisés sous l’égide de la N.O.A.A. (National Oceanic and Atmospheric Administration), prendre la relève des satellites expérimentaux Tiros et Essa. La même préoccupation de mise en place d’un système de météorologie opérationnelle se retrouve en U.R.S.S. qui a lancé, de 1969 à 1979, vingt-huit satellites Meteor-1 et trois Meteor-2. Mais le fait le plus nouveau de cette période a été l’apparition de satellites géostationnaires de météorologie: séries S.M.S. et Goes aux États-Unis, satellite japonais G.M.S. et satellite Meteosat de l’E.S.A. Ce dernier satellite, de conception européenne, assure de façon permanente la prise d’images de l’atmosphère terrestre dans trois bandes du spectre visible et infrarouge, ainsi que la collecte et la retransmission des données météorologiques mesurées à partir de plates-formes réparties sur la surface du globe.

L’utilisation de satellites pour la navigation a progressé également de façon remarquable. La relève du système américain Transit est en cours dans le cadre du programme Navstar, système qui comportera, en 1995, vingt-quatre satellites dont trois ont été lancés en 1978. Ce système, destiné à la localisation très précise de mobiles, y compris les avions et missiles se déplaçant à très grande vitesse, sera capable de restituer la position de ces mobiles à 5 mètres près! Beaucoup plus modeste sans aucun doute, mais encore une fois original, a été le développement par la France du système Argos, installé sur le satellite américain Tiros-N, et qui a servi à la localisation des voiliers (et éventuellement à leur sauvetage) participant à la course transatlantique Transat de 1979.

Tous les domaines d’applications évoqués ci-dessus avaient déjà fait l’objet de réalisations avant 1969, et les vingt années écoulées ont surtout permis leur extension tant quantitative que qualitative. Au contraire, l’utilisation de satellites spéciaux pour l’observation des ressources terrestres est apparue au cours de cette même période. Les premiers satellites américains Landsat (1972, 1975 et 1978) constituent l’exemple type de l’utilisation spatiale de la télédétection, à partir de caméras prenant des images de la Terre dans différentes bandes de longueurs d’onde (dans les régions de 0,5 à 1 猪m et 10 猪m). La résolution des images fournies par ces satellites – quelques dizaines de mètres – est déjà remarquable, encore que des performances très supérieures (de l’ordre du mètre!) soient réalisables. La quantité des informations ainsi recueillies est considérable et leur exploitation s’effectue dans des domaines très variés: agriculture (prévisions des récoltes avec une précision de 90 p. 100, neuf années sur dix), cartographie, géologie, exploitation forestière, ressources marines, hydrologie... S.P.O.T. 1 (Satellite pour l’observation de la Terre), le premier satellite de télédétection français, a fait son apparition le 22 février 1986. D’autres techniques, fondées sur les systèmes de détection en hyperfréquences (radar à synthèse d’ouverture, radar altimétrique, radiomètre multifréquence) qui permettent une observation nuit et jour et quelle que soit la couverture nuageuse, ont été utilisées sur Seasat (lancé en 1978) pour des applications océanographiques et pour la navigation maritime. Le programme S.P.O.T. se poursuit dans les années quatre-vingt-dix.

On ne saurait évidemment clore ce survol rapide des programmes spatiaux d’applications sans parler des applications militaires . L’effort des deux grandes puissances (États-Unis et U.R.S.S.) dans ce domaine est considérable: sur plus de deux mille engins de toutes sortes satellisés depuis le début de l’ère spatiale, bien plus de la moitié ont été destinés à des fins militaires, et cette proportion s’accroît chaque année! La plus grande partie de ces missions, relevant des catégories d’applications déjà énumérées ci-dessus, sont – heureusement si l’on peut s’exprimer ainsi – du type «passif»: télécommunications, météorologie, navigation, reconnaissance, écoute électronique, surveillance et alerte... Malheureusement, ces années ont également vu l’apparition de nombreuses missions visant à l’interception de satellites (satellites «tueurs»). L’espace, «champ de bataille du futur», n’est plus du domaine de la science-fiction, notamment avec le programme d’initiative de défense stratégique (S.D.I., Strategic Defense Initiative) officialisé par un discours du président Reagan le 23 mars 1983.

En conclusion, que nous réserve l’avenir? Est-ce d’abord la continuation de l’exploitation industrielle de l’espace proche, suivie, au début du XXIe siècle, de sa colonisation par émigration de l’homme dans le système solaire? Un exemple suffira à montrer comment la réalité économique peut quelquefois rejoindre les rêves de la science-fiction. En 1968, P. E. Glaser lance l’idée d’un satellite destiné à recueillir l’énergie du Soleil et à la retransmettre au sol: chaque satellite S.P.S. (Solar Power Satellite) nécessiterait une surface de panneaux solaires de l’ordre de 50 kilomètres carrés (10 milliards de cellules solaires) et pèserait 50 000 tonnes, et il faudrait environ cinquante satellites analogues pour fournir une partie notable de l’énergie électrique nécessaire aux ÉtatsUnis. Ce projet, considéré alors comme parfaitement utopique, a été étudié dans ses moindres détails et sa faisabilité technologique a été démontrée!

Encyclopédie Universelle. 2012.

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